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Selon Lioudmila Oulitskaïa, "on nait femme, on ne le devient pas" - TV5MONDE, 08/03/2011 (in French)

Selon Lioudmila Oulitskaïa, "on nait femme, on ne le devient pas"
08.03.2011
propos recueillis par Marie Capucine Diss, traduits par Sylvie Braibant
Lioudmila Oulitsakaïa est l'un des écrivains les plus célèbres en Russie. Non seulement pour ses romans, mais aussi pour le combat qu'elle mène aux côtés de Boris Akounine, autre auteur à succès, afin de sortir de prison l'homme d'affaires Mikhaïl Khodorkovsky, relégué en Sibérie. C'est sans doute l'une des raisons qui ont conduit un jury présidé par la philosophe Julia Kristeva à lui décerner en 2011 le "prix Simone de Beauvoir, pour la liberté des femmes ". Pourtant la romancière russe, née dans le pays d'Alexandra Kolontaï, figure de proue du féminisme mondial mais aussi des bolchéviks, est bien loin de la pensée de l'auteure du Deuxième sexe, comme le montre cet entretien.
Madame le témoin - Quand Lioudmila Oulitskaïa faisait la Une de l'un principaux hebdomadaires russe, Itogui, après sa bataille pour Mikhaïl Khodorkosky.

 

Vos personnages sont surtout des femmes. Pourquoi ?

Je ne crois pas que la plupart de mes héros sont des femmes. En fait, je n’ai jamais compté. Mais si on s’en tient aux données démographiques, il est vrai que les femmes en Russie sont plus nombreuses que les hommes. Dans ce cas, on pourrait imaginer qu’inconsciemment, cette proportion entre hommes et femmes se retrouvent dans mes romans. Mais je ne procède à aucun choix calculé en faveur des femmes. Ce qui est sûr aussi, c’est qu’il est beaucoup plus facile d’écrire sur ce qu’on connaît le mieux.

Vous décrivez des femmes fortes. Est-ce une donnée générale ou un choix personnel ?

Dans mon pays, la Russie, beaucoup de femmes sont malheureuses. En particulier si l’on s’arrête sur ma génération ou celle de ma mère. Mais en même temps, dans ce pays, il y a toujours eu de très fortes femmes. Ce qui leur est tombé dessus au long du XXème siècle, elles l’ont supporté avec un courage et une persévérance exceptionnels.Tout le XXème siècle russe s’est déroulé sous le sceau des guerres et des révolutions. Et même après, les hommes ont continué à mourir lors des petites guerres sans nom dans le Caucase. Et alors, les femmes ont dû prendre sur elles toutes les charges familiales – travailler pour gagner leur vie tout en continuant à s’occuper des enfants. Voilà ce qui façonne des femmes fortes, patientes et dignes. Je n’ai pas spécialement cherché à mettre l’accent sur de telles personnes, c’est juste qu’elles constituent mon environnement.

Vos personnages féminins sont très libres. Est-ce un héritage de la période soviétique ?

Chaque fois qu’une question si vaste est posée, la réponse ne peut être qu’approximative. D’une façon générale, je suis prête à admettre que les femmes russes se sentent plus libres que les hommes. Mais la cause de cet état de fait se trouve dans la biologie. Pour élever au mieux leurs enfants, les femmes doivent sans cesse faire preuve d’imagination, d’inventivité et de courage, plus que les hommes. Mais ce n’est pas spécifique à la vie des temps soviétiques. Cette façon d’être est plus lié au caractère biologique de leur sexe qu’à un quelconque héritage de la période soviétique.

Voyez-vous une évolution su statut des femmes au cours de l’histoire de votre pays ?

Oui bien sûr : la génération des trentenaires est très différente de nous qui sommes leurs mères. Elles sont plus indépendantes, plus autonomes, pas aussi soumises à leurs pères, maris ou frères. Sont elles heureuses comme cela ? Je ne me prononcerai pas… Mais je suis très fière de mes jeunes amies – en elles, je vois tout ce qu’il nous manquait. Cette évolution ne s’est pas produite du temps de l’Union soviétique mais dans la deuxième moitié du XXème siècle, auquel j’ai moi aussi pris part comme témoin et comme écrivain.

Les femmes ont-elles une façon particulière de lire ou de vivre leur lecture ? Peut-être en Russie est-ce encore plus spécial ?

Non, je ne peux vraiment pas dire ni que les livres jouent un rôle particulier pour les femmes, dans leur vie, ni qu’elles ont leur propre façon de lire. Les amoureux ou les amoureuses des livres telle l’héroïne de mon roman « Sonietchka » sont partout. Parce que dans les moments où les gens ont du mal à trouver des raisons d’être heureux en dehors de la lecture ou de la musique, alors ces deux sphères culturelles deviennent essentielles.

La littérature exerce-t-elle un pouvoir particulier sur les femmes russes ?

Je ne pense pas qu’à cet égard, les femmes russes soient si différentes des occidentales. Partout, les gens, y compris les hommes, trouvent de moins en moins d’informations dans la littérature, les oeuvres de fiction, mais de plus en plus à travers de nouveaux canaux. Il faut s’arrêter un instant sur une chose particulièrement intéressante : la Russie est de tous les pays de « lecture », celui où le livre est devenu, et cela depuis longtemps, un pur produit commercial. Et toutes les lois du marché s’exerce sur lui : sondages, publicités, produits dérivés promotionnels font des lecteurs, avant tout des consommateurs.

Que signifie pour vous d’avoir reçu à Paris le prix Simone de Beauvoir ?

C’est un moment extrêmement important dans ma vie. J’ai reçu beaucoup de prix mais celui-ci, le prix Simone de Beauvoir me donne l’impression d’appartenir à la culture mondiale. On me l’a remis dans ce café (Les deux magots) où sont passés les plus grands écrivains du XXème siècle, et ainsi j’ai l’impression de m’inscrire dans le mouvement culturel perpétuel.



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