
 
Vos personnages sont surtout des femmes. Pourquoi ? 
 
 Je ne crois pas que la plupart de mes héros sont des femmes. En fait,  je n’ai jamais compté. Mais si on s’en tient aux données démographiques,  il est vrai que les femmes en Russie sont plus nombreuses que les  hommes. Dans ce cas, on pourrait imaginer qu’inconsciemment, cette  proportion entre hommes et femmes se retrouvent dans mes romans. Mais je  ne procède à aucun choix calculé en faveur des femmes. Ce qui est sûr  aussi, c’est qu’il est beaucoup plus facile d’écrire sur ce qu’on  connaît le mieux. 
 
 Vous décrivez des femmes fortes. Est-ce une donnée générale ou un choix personnel ? 
 
 Dans mon pays, la Russie, beaucoup de femmes sont malheureuses. En  particulier si l’on s’arrête sur ma génération ou celle de ma mère. Mais  en même temps, dans ce pays, il y a toujours eu de très fortes femmes.  Ce qui leur est tombé dessus au long du XXème siècle, elles l’ont  supporté avec un courage et une persévérance exceptionnels.Tout le XXème  siècle russe s’est déroulé sous le sceau des guerres et des  révolutions. Et même après, les hommes ont continué à mourir lors des  petites guerres sans nom dans le Caucase. Et alors, les femmes ont dû  prendre sur elles toutes les charges familiales – travailler pour gagner  leur vie tout en continuant à s’occuper des enfants. Voilà ce qui  façonne des femmes fortes, patientes et dignes. Je n’ai pas spécialement  cherché à mettre l’accent sur de telles personnes, c’est juste qu’elles  constituent mon environnement. 
 
 Vos personnages féminins sont très libres. Est-ce un héritage de la période soviétique ? 
 
 Chaque fois qu’une question si vaste est posée, la réponse ne peut être  qu’approximative. D’une façon générale, je suis prête à admettre que  les femmes russes se sentent plus libres que les hommes. Mais la cause  de cet état de fait se trouve dans la biologie. Pour élever au mieux  leurs enfants, les femmes doivent sans cesse faire preuve d’imagination,  d’inventivité et de courage, plus que les hommes. Mais ce n’est pas  spécifique à la vie des temps soviétiques. Cette façon d’être est plus  lié au caractère biologique de leur sexe qu’à un quelconque héritage de  la période soviétique. 
 
 Voyez-vous une évolution su statut des femmes au cours de l’histoire de votre pays ? 
 
 Oui bien sûr : la génération des trentenaires est très différente de  nous qui sommes leurs mères. Elles sont plus indépendantes, plus  autonomes, pas aussi soumises à leurs pères, maris ou frères. Sont elles  heureuses comme cela ? Je ne me prononcerai pas… Mais je suis très  fière de mes jeunes amies – en elles, je vois tout ce qu’il nous  manquait. Cette évolution ne s’est pas produite du temps de l’Union  soviétique mais dans la deuxième moitié du XXème siècle, auquel j’ai moi  aussi pris part comme témoin et comme écrivain. 
 
 Les femmes ont-elles une façon particulière de lire ou de vivre leur lecture ? Peut-être en Russie est-ce encore plus spécial ? 
 
 Non, je ne peux vraiment pas dire ni que les livres jouent un rôle  particulier pour les femmes, dans leur vie, ni qu’elles ont leur propre  façon de lire. Les amoureux ou les amoureuses des livres telle l’héroïne  de mon roman « Sonietchka » sont partout. Parce que dans les moments où  les gens ont du mal à trouver des raisons d’être heureux en dehors de  la lecture ou de la musique, alors ces deux sphères culturelles  deviennent essentielles. 
 
 La littérature exerce-t-elle un pouvoir particulier sur les femmes russes ?  
 
 Je ne pense pas qu’à cet égard, les femmes russes soient si différentes  des occidentales. Partout, les gens, y compris les hommes, trouvent de  moins en moins d’informations dans la littérature, les oeuvres de  fiction, mais de plus en plus à travers de nouveaux canaux. Il faut  s’arrêter un instant sur une chose particulièrement intéressante : la  Russie est de tous les pays de « lecture », celui où le livre est  devenu, et cela depuis longtemps, un pur produit commercial. Et toutes  les lois du marché s’exerce sur lui : sondages, publicités, produits  dérivés promotionnels font des lecteurs, avant tout des consommateurs. 
 
 Que signifie pour vous d’avoir reçu à Paris le prix Simone de Beauvoir ? 
 
 C’est un moment extrêmement important dans ma vie. J’ai reçu beaucoup  de prix mais celui-ci, le prix Simone de Beauvoir me donne l’impression  d’appartenir à la culture mondiale. On me l’a remis dans ce café (Les  deux magots) où sont passés les plus grands écrivains du XXème siècle,  et ainsi j’ai l’impression de m’inscrire dans le mouvement culturel  perpétuel.
