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"Khodorkovski a changé"
Propos recueillis par Alla Chevelkina et Axel Gyldén, publié le 26/10/2011 à 12:31
L'ancien patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski (ici en 2010), détenu depuis huit ans, a été adopté comme prisonnier d'opinion par Amnesty International.
REUTERS/Grigory Dukor
Celui qui fut le plus riche des oligarques est, depuis 2003, "le prisonnier de Poutine". Ludmila Oulitskaïa, l'un des écrivains qui correspondent avec lui, témoigne.
Le 23 octobre prochain, l'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski aura passé huit ans derrière les barreaux. D'abord dans un bagne d'une des régions les plus isolées de Sibérie. Puis à Moscou, dans une cellule de prison. Et, à présent, dans le camp de travail n°7, à Segezha (en Carélie), à 700 kilomètres au nord de Saint-Pétersbourg. Condamné à quatorze ans d'emprisonnement pour "fraude fiscale" lors de deux procès truqués, en 2005 et 2010, l'ancien patron du géant pétrolier Ioukos est considéré comme un prisonnier d'opinion par Amnesty International.
"L'affaire Ioukos est la page la plus honteuse de l'histoire post-soviétique, car, avec elle, la Russie a perdu l'indépendance de la justice", estime l'écrivain Boris Akounine qui, tout comme les romanciers Boris Strougatski et Ludmila Oulitskaïa, a entretenu une correspondance avec "le prisonnier de Poutine". A l'heure où ces échanges épistolaires paraissent en France (1), Ludmila Oulitskaïa répond à L'Express.
Après avoir été l'homme le plus riche de Russie, selon le magazine Forbes, Vladimir Khodorkovski connaît le même sort que les dissidents en URSS. Que vous inspire ce destin?
A l'époque soviétique, la condition carcérale est devenue un thème fondamental de la littérature russe. Deux points de vue s'affrontaient. Soljenitsyne, d'une part, considérait que l'expérience de la prison renforce l'homme et a, en tant que telle, une valeur intrinsèque positive. L'écrivain trotskiste Varlam Chalamov, d'autre part, arrêté et envoyé au goulag dès 1929 pour avoir contesté le pouvoir de Staline, était persuadé qu'elle n'était en rien utile, car rien de ce que l'on apprend derrière les barreaux n'est pertinent dans le monde normal. J'ai demandé à Khodorkovski de quel côté il se situait. Il m'a répondu: Chalamov. Pourtant, lui-même fait preuve d'un courage exemplaire. A l'évidence, ses huit années de prison l'ont élevé, comme Soljenitsyne.
Dans sa correspondance, Khodorkovski écrit en substance que l'incarcération rend libre, car elle débarrasse le prisonnier de l'accessoire et le transforme essentiellement en un esprit.
La pensée permet d'atteindre une certaine forme de liberté et d'indépendance derrière les barreaux, affirme Khodorkovski, et sa propre personne incarne parfaitement cette idée. En prison, il a profondément changé. A l'extérieur, aussi, l'opinion a évolué. Lors de son arrestation, en octobre 2003, la vox populi estimait que son sort était mérité, car "la place de tout voleur est en prison". Aujourd'hui, personne ne profère ce genre d'affirmation. Lors de son dernier procès, en novembre 2010, le caractère grossièrement fabriqué de l'accusation de "fraude fiscale", qui pèse contre lui, sautait aux yeux: la partie adverse s'est montrée incapable de prouver quoi que ce soit à son encontre.
Khodorkovski est-il amer?
Ce qui domine chez lui, c'est au contraire un sentiment de compréhension et de compassion à l'égard des juges qui l'ont condamné, car il devine - ou plutôt, il sait - à quel point ces magistrats ont subi la pression du pouvoir.
Est-il le prisonnier "personnel" de Poutine?
L'attitude du Premier ministre accrédite cette théorie. Lorsqu'il parle de Khodorkovski, il ne maîtrise ni ses émotions ni son agressivité. Et puis, comment expliquer autrement les mesures de surveillance exceptionnelles, disproportionnées et vexatoires, dont Khodorkovski a fait l'objet? Lors de son second procès, il était conduit chaque jour au tribunal dans un véhicule blindé. Et à l'intérieur de la salle d'audience, lui et son ancien associé Platon Lebedev comparaissaient dans une cage spéciale, comme si l'on jugeait Jack l'Eventreur.