Document - Interprète au sein de l’armée soviétique, Elena Rjevskaïa raconte comment il fut établi, dés mai 1945, que Hitler s’était suicidé dans son bunker, puis comment cette information a été tenue secrète
Ces carnets sont à la fois un document historique et un témoignage sur la guerre. Le témoignage est d’un intérêt limité, semblable à ceux qui furent écrits en grand nombre en Union soviétique. En revanche, l’apport historique est de premier plan. Elena Rjevskaïa, dont le vrai nom est Elena Kagan, fut interprète auprès de l’armée russe entre 1942 et 1945.
Le hasard a fait qu’elle s’est trouvée en situation d’accompagner et traduire pour le petit groupe d’enquêteurs qui ont recherché la dépouille de Hitler, aussitôt après leur entrée dans Berlin.
Les faits sont aujourd’hui établis : le 30 avril 1945, Adolf Hitler s’est suicidé, en même temps qu’Eva Braun, dans son bunker creusé sous la chancellerie. Puis leurs corps furent brûlés. Les Soviétiques, qui étaient seuls à Berlin durant les derniers jours du Reich, l’ont rapidement su.
Pourtant, Staline a choisi de garder le secret sur cette découverte. Mieux, la presse soviétique a entretenu la confusion, évoquant une possible fuite du Führer. Les restes calcinés d’Adolf Hitler et Eva Braun furent emmenés en secret et finalement détruits par le KGB en 1970.
Il n’est resté que la mâchoire, qui avait servi à l’identification, ainsi qu’un morceau de crane percé d’une balle. En 2000, pour la seule et unique fois, les archives russes ont exposé ces restes à Moscou. L’étude du morceau de crâne par un chercheur du Connecticut, en 2009, a ensuite révélé qu’il appartenait en réalité à une jeune femme. Mais la mâchoire, en revanche, semble bien être le dernier reste d’Adolf Hitler.
Dans ces Carnets de l’interprète de guerre, on découvre ce qui s’est passé, à Berlin, en mai 1945. On assiste à la découverte des corps puis à leur identification. Au départ, les Soviétiques n’ont aucune certitude. Mais les langues se délient.
Un employé de la chancellerie raconte avoir fourni de l’essence en urgence au bunker de Hitler, le 30 avril, ce qui accrédite l’idée que le corps a été brûlé. Elena Rjevskaïa traduit à ce moment-là les documents trouvés dans le bunker de Hitler, à la recherche des dernières instructions.
Les restes sont trouvés peu après, dans un trou d’obus, sommairement enterrés. Puis c’est l’assistante du dentiste personnel de Hitler qui fournit le dossier médical, et permet d’avoir la certitude que Hitler est mort.
Ces éléments avaient été rapportés par Elena Rjevskaïa dès 1965. Ces carnets développent le propos et rendent son témoignage accessible aux Français. Leur intérêt est de restituer parfaitement l’atmosphère fébrile de ces journées. Elena Rjevskaïa fait preuve, en même temps, d’un grand souci du détail. Mais là où son récit est encore plus intéressant, c’est lorsqu’elle montre comment le régime soviétique a organisé le silence autour de cette découverte.
Personne ne fut mis dans la confidence. Les hauts gradés de l’armée furent eux-mêmes tenus dans l’ignorance. L’assistante du dentiste, témoin clé, fut arrêtée et incarcérée dans un camp soviétique pendant six ans. Quant à Staline, il donna l’impression de se désintéresser du sujet.
C’est seulement en 1964 qu’Elena Rjevskaïa, devenue écrivain, a pu avoir accès aux archives et publier son premier témoignage. Ces carnets s’achèvent sur une scène poignante, magistralement écrite. Elena Rjevskaïa est invitée à rencontrer le maréchal Joukov en 1965.
Celui-ci, qui fut proche de Staline, vient de découvrir la vérité. Il s’interroge sur les raisons pour lesquelles Staline ne lui a rien dit. Elena Rjevskaïa ne répond pas à cette question, qui reste la grande interrogation qui court tout au long du livre. Quel fut le calcul tortueux du dictateur ? Face à lui, cependant, il y a eu la détermination de cette interprète qui a mis toute son énergie pour que la vérité soit connue, et « pour empêcher Hitler d’atteindre son objectif final : celui de disparaître pour devenir un mythe ».