Épître à Madame ma Main Gauche

21 octobre, 2010
Christine Mestre, spécialement pour La Russie dAujourdhui

 Ces douze textes rassemblés par Sophie Benech, à la fois éditeur et traductrice, représentent la quintessence de Iouri Bouïda et de son talent. Le résultat est un livre de 77 pages qui donnera au lecteur une matière dense pour sa propre méditation. Douze récits puissants, écrits dans une langue classique et poétique, pour percevoir l’intangible et sonder l’insondable. Dès le premier récit, la problématique est posée. L’auteur s’adresse à sa main gauche, « le symbole et même l’incarnation de tout ce qui est mensonger, défectueux, perfide, dangereux... (qui) nous empêche d’oublier l’existence du mal, laissant à la main droite le soin de faire le bien, et nul ne sait ce qui est le plus important ». Chez Bouïda, les frontières entre le bien et le mal, le tout et le rien, le présent et l’éternité, la vie et la mort, le réel et l’imaginaire sont poreuses. Accepter cette dualité permet de conquérir son unité. L’auteur décrit le monde réel avec la précision d’un peintre surréaliste. La réalité qu’il nous donne est trompeuse, elle permet un glissement imperceptible vers l’imaginaire. On passe du tableau à la vie réelle, de la vie réelle au tableau. Le sentiment que le tableau « finit par se transformer en vie, comme la vie se transforme en un art qui nourrit cette vie ». La boucle est bouclée comme dans le titre même de l’un des récits : « Solitude avec vue sur une chambre avec vue sur la solitude » . Il n’y a ni commencement ni fin, juste renouvellement ou métamorphose. Impermanence, diraient les bouddhistes dont la philosophie n’est sans doute pas étrangère à l’auteur tant le questionnement sur l’amour, le bonheur, la mort, les liens invisibles entre l’homme et la nature est mis en perspective à travers la notion de vacuité. « Seul un véritable artiste peut représenter le vide de telle façon qu’une étoile se mette à y briller toute seule, et pourtant le bonheur, même un véritable artiste ne le trouvera jamais », avait dit Igor Zemler, jeune auteur qui s’est suicidé et dont le narrateur contemple le journal vierge dans le Journal dIgor Zemler. Ceux qui découvriront Iouri Bouïda ne manqueront pas de rattraper le temps perdu et de lire Train zéro, Yermo, et La fiancée prussienne, trois ouvrages déjà publiés chez Gallimard qui ont fait de lui un auteur majeur de sa génération.